Archives for category: histoire

SEI est l’acronyme de la société britannique Salford Electrical Instruments, qui a commercialisé son photomètre de 1948 jusque dans les années 60.
Très précis et auto-étalonnable, il mesure la luminosité d’un sujet par comparaison à une surface lumineuse de référence, de manière très sélective selon un angle de 0,5° (les spotmètres ont généralement un angle de 1°), en tablant sur la capacité comparatrice de l’œil humain. Il permet d’évaluer des luminosités sur une étendue de 1 à 1 000 000.

Livré dans un solide étui en cuir, il se présente sous la forme d’un cylindre en métal de 18 cm de haut sur un peu plus de 4 cm de diamètre, assez lourd — 745 g avec la pile —, avec un viseur le traversant perpendiculairement à son quart supérieur.

Il est constitué de bas en haut de :

  • Une base comportant sur le côté un bouton poussoir qui allume le circuit et dessous le bouton rotatif d’un rhéostat permettant l’étalonnage de l’appareil. Elle se dévisse pour accéder au logement de la pile et d’une petite ampoule dont la l’intensité lumineuse sert de référence. Elle est également rotative pour faire varier l’intensité de la lumière de référence dans le viseur.
  • Sur cette base se trouve un index de sensibilité d’émulsion, puis une bague crantée affichant l’ensemble des ouvertures normalisées de f/1 à f/32 par tiers de valeur.
  • Ensuite sur le corps du cylindre figurent trois colonnes teintées en bleu pâle, blanc et rouge pâle, indexant les durées d’exposition selon la plage de densité, variant de 1/500 000 s à 2 h 47 min, également par tiers de valeur, plus un index de mesure en log foot Lamberts et un index de densité relative.
  • Puis on trouve deux molettes, une devant, à trois positions identifiées par des points bleu, blanc et rouge, sélectionnant la plage de densités, l’autre derrière, précisant le type d’éclairage ambiant, lumière du jour (point blanc) ou lumière électrique (point jaune).
  • Juste au-dessus se trouve donc le viseur, doté à l’arrière d’un œilleton en plastique noir et à l’avant d’un petit objectif. L’oculaire coulisse pour effectuer une mise au point approximative sur un sujet très proche.
  • Enfin au sommet se trouve un micro-ampèremètre à aiguille servant à étalonner l’appareil.

L’ampoule de référence est une petite ampoule dépolie soudée sur son support en laiton (ou bronze ?), lui-même vissé sur un cylindre amovible accueillant la pile. Fortement sous-alimentée, l’ampoule s’use très peu et peut assurer un fonctionnement fiable durant de longues années, d’autant que sa dérive est compensée par la procédure d’étalonnage.
La pile d’origine était une U.2, l’équivalent actuel est la pile de format D ref E95-LR20 1,5V. La pile s’insère dans le cylindre, base en premier, donc polarité positive vers le bas à l’opposé de l’ampoule.

Pour utiliser le photomètre, il convient d’abord d’étalonner l’ampoule de référence :
En appuyant sur le poussoir, le circuit alimenté fait bouger l’aiguille de l’ampèremètre au sommet. Il faut tourner le bouton du rhéostat de manière à aligner l’aiguille sur un trait rouge ; l’appareil est alors prêt à mesurer.
C’est une opération à faire systématiquement en début de séance de prise de vue.

Ensuite il faut savoir ce qu’on doit mesurer !

À l’époque le « gris moyen 18 % » ne s’était pas encore imposé, qui est une convention arbitraire décidée par Kodak. Les ingénieurs chez SEI connaissaient bien les bases de la photo, notamment qu’il faut exposer les négatifs pour les ombres et les développer pour les hautes lumières, et faire le contraire pour les films inversibles (diapos).

Je vais parler du cas du négatif :

La sensitométrie permet de tester un film et tracer un graphique visualisant le rapport entre les intensités lumineuses l’exposant et la densité obtenue après développement.

Lorsque la courbe est horizontale à son début, le talon de la courbe, les intensités lumineuses sont trop faibles pour impressionner le film, qui reste clair, sous-exposé, sans détails.
Puis la courbe démarre et devient une droite oblique traduisant sa plage de densités principale où chaque intensité lumineuse différente se traduit par une densité différente sur le film, et fournissent ainsi les nuances de l’image.
Enfin la droite s’infléchit de nouveau vers l’horizontale, l’épaule de la courbe, montrant que toutes les intensités lumineuses égales ou supérieures se traduisent par la densité maximale du film, plafonnées, sans aucune nuance, ce qu’on appelle une zone surexposée.

Lors du développement d’un négatif, son noircissement se fait progressivement durant toute la durée du bain révélateur, les densités les plus faibles (les ombres donc) sont totalement développées au début du traitement, le noircissement continue et les densités les plus élevées (les hautes lumières donc) atteignent leur plein développement en fin de traitement.
Si on raccourcit le développement, les plus hautes luminosités donneront des densités moins élevées mais encore détaillées.
Idéalement il faut caler le développement de manière à obtenir des densités les plus élevées contenant toujours des nuances.

En exposant pour les ombres et en développant pour les hautes lumières, on opère ainsi une sorte de compression des valeurs qui évite de boucher les ombres et de brûler les hautes lumières, et c’est pour cette méthode que le spotmètre SEI est prévu de fonctionner.

En pratique il convient donc, pour un film négatif, de faire sa mesure vers une zone sombre du sujet pour laquelle on souhaite conserver des détails.

On va d’abord tourner la molette crantée sur la base pour sélectionner la sensibilité de son film. L’index est en British Standard logarithmique, des chiffres de 10 à 50, avec une progression par tiers de valeur : tous les trois crans on double la sensibilité.
Le mode d’emploi fournit un tableau de conversion vers d’autres échelles de sensibilités, notamment la norme ASA
Ainsi on remarque les indices utiles :

SEI index => ASA
10 => 0,75
13 => 1,5
16 => 3
19 => 6
22 => 12
25 => 25
28 => 50
31 => 100
34 => 200
37 => 400
40 => 800
43 => 1600
46 => 3200
49 => 6400

La mesure en elle-même se fait à deux mains : l’une maintient l’appareil, viseur devant l’œil, l’autre appuie sur le bouton poussoir et tourne la base.
Signalons que la visée passant par un prisme, elle se trouve pivotée de 180° en sortie d’oculaire, ce qui, combiné à l’étroitesse de l’angle de champ, rend difficile le suivi d’un sujet mobile !
Au centre du viseur s’affiche un petit disque : il apparait plus lumineux ou plus sombre que la surface visée. On tourne la base pour ajuster l’intensité du disque jusqu’à ce qu’elle se confonde avec celle du sujet.

Si le sujet est trop lumineux ou trop sombre pour permettre d’aligner l’intensité du disque avec celle du sujet, il convient de modifier la plage de mesure à l’aide de la molette avant, sous l’objectif de visée (position bleu, blanc ou rouge). Les deuxième et troisième crans font passer dans le viseur un filtre gris neutre de plus en plus sombre. La plage de mesure des intensités les plus fortes est particulièrement sombre et nécessite qu’on colle bien son œil à l’œilleton de visée pour apercevoir le sujet et le disque, voire qu’on isole davantage le viseur de la lumière avec sa main (un peu acrobatique !).

Si la lumière ambiante est de type électrique, les films équilibrés pour la lumière du jour ont une perte de sensibilité qu’il faut compenser, on peut alors positionner la molette arrière sous l’oculaire de visée sur le point jaune. Un filtre orangé s’interpose sur la lumière de référence et ce l’assombrit légèrement. Cela a pour conséquence de devoir augmenter un peu l’intensité du disque pour trouver l’équilibre avec le sujet, ce qui donne une valeur d’exposition légèrement surexposée.

Une fois l’égalité trouvée, on n’a plus qu’à effectuer la lecture du résultat. Il suffit de repérer sur la base la valeur d’ouverture voulue, suivre le trait gravé jusqu’à la colonne de la même couleur que le point sur la molette de plage d’intensité et y lire le temps de pose correspondant.

J’ai procédé à une comparaison avec mon spotmètre Minolta*, qui dispose d’une fonction mesure des basses lumières : on mesure puis on appuie sur le bouton S, qui décale l’exposition de -2,7 IL (indice de lumination). Mon exemplaire du photomètre SEI — au minimum 50 ans d’âge et en parfait état apparent — indique une valeur identique ou proche à moins d’un tiers de valeur près.

Cependant il faut avoir conscience que selon le film qu’on utilise et le développement qu’on lui applique, même les fonctions basses (S pour shadows) et hautes (H pour highlights) lumières du spotmètre Minolta* seront insuffisantes. Leurs décalages respectifs (S = -2,7 IL, H = +2,3 IL) ont été prévus pour les films inversibles (diapo) dont l’écart de contraste fait 5 IL.
Un film négatif noir et blanc bien exposé et développé pourra contenir un écart de contraste bien supérieur, ce qui fait qu’on devrait appliquer à la mesure des ombres ou hautes lumières un plus grand décalage : par exemple si le film enregistre une plage de 10 IL utiles, on pourrait exposer les ombres les plus denses à -5 IL. Seule l’expérience permet de prendre une bonne décision.

Ces ajustements sont bien sûr faciles à faire de tête, les automatismes des appareils modernes ne sont qu’un confort supplémentaire, mais atteindre le plus haut niveau de précision nécessite d’appliquer les méthodes de la sensitométrie. Cela veut dire également bien connaitre ses outils de mesure, ce qui fait qu’on peut très bien utiliser un spotmètre SEI aujourd’hui.

[ * Signalons que Minolta a amélioré les fonctions basses et hautes lumières sur le multimètre/spotmètre Minolta VI en les rendant programmables, on peut ainsi choisir le décalage que l’on souhaite.
Dernière précision : la fabrication des outils de mesure Minolta a été reprise depuis plusieurs années par Kenko. ]

Le Posographe est un appareil astucieux de calcul de temps de pose inventé par Auguste Robert Kaufman et breveté en 1922, avant l’invention des cellules-posemètres.
On peut considérer qu’il fait partie de la famille des ordinateurs mécaniques primitifs initiée notamment par Pascal, Jacquard ou Babbage…

C’est en quelque sorte une version plus détaillée et interactive de la règle du f/16 (en plein soleil avec un diaphragme ouvert à f/16, la durée d’exposition est la valeur la plus proche de la sensibilité du film, par exemple 1/125s pour 100 ISO…) qu’on retrouve au dos de certains appareils et à l’intérieur des cartons d’emballage de pellicules sous forme de tableaux avec quelques situations de luminosité courantes.

L’objet plat et rectangulaire mesure environ 13,5 x 9 x 1 cm et présente deux faces imprimées d’un ensemble de paramètres, une face dédiée aux scènes d’intérieur, l’autre aux scènes d’extérieur.

Six curseurs index disposés sur son pourtour permettent de sélectionner les différents paramètres, un septième donne comme résultat du calcul un temps d’exposition.
Ces curseurs sont reliés en interne à une série de bielles plates interconnectées de manière à établir géométriquement un rapport logique.

Il est remarquable de constater que les dimensions, dispositions et articulations des bielles les unes avec les autres matérialisent mécaniquement la logique et l’influence de chaque paramètre dans la valeur d’exposition finale.

Schéma de principe mécanique

Sur ce dessin, les bielles ont une forme régulière de rectangle arrondi, inspirée par un schéma d’époque, mais en réalité elles sont faites de fines tôles franchement plus larges et arrondies afin de s’assurer qu’en toute position elles vont bien glisser les unes sur ou sous les autres et ne pas risquer de se coincer.
Les pivots d’articulation sont des rivets.

Les paramètres sont
Pour la photo en extérieur :
• Mois
• Heure solaire
• Sujet
• Diaphragme
• État du ciel
• Teinte et éclairage du sujet

Face pour les vues en extérieur

Pour la photo en intérieur :
• Couleur des murs
• Couleur des sols
• Lumière extérieure
• Diaphragme
• Quantité de ciel vue de la place du sujet
• Place du sujet par rapport aux fenêtres

Face pour les vues d’intérieur

Le dernier curseur comporte quatre flèches-index selon la sensibilité de l’émulsion, exprimée en degrés H&D :
• Rapidité moyenne – 50° H&D
• Extra rapide ordinaire – 150° H&D
• Ultra rapide – 350° H&D
• Sensibilité extrême – 600° H&D
Ce curseur coulisse le long d’une échelle de temps de pose allant de 1/1000s à 12s
Il est précisé une correspondance pour les plaques Autochrome : exposer soixante fois plus que l’index Extra rapide (en pratique il suffit de considérer les valeurs données comme étant des minutes et non des secondes).

Le système H&D, mis au point vers 1890 par le Suisse Ferdinand Hurter et l’Anglais Vero Charles Driffield, est une des premières tentatives de normaliser les sensibilités d’émulsions, un ancêtre de la sensitométrie.
Cette échelle n’est pas directement comparable aux normes actuelles car les protocoles de mesure sont différents et ne mesurent pas exactement les mêmes choses. En outre il a existé plusieurs variantes du système H&D, comme l’indiquent les tableaux de ces sites :
earlyphotography.co.uk
jollinger.com
Une tentative d’équivalence H&D > ASA/ISO est donc forcément une approximation. Selon ces sites, la sensibilité maximale de 650° H&D du Posographe se situerait aux alentours de 17 ISO, à confirmer par l’expérimentation.

En définitive, le Posographe est clair, intuitif, amusant même, il pousse à réfléchir à la lumière de la scène que l’on souhaite photographier, à l’analyser, cela en fait un très bon outil pédagogique à mettre entre toutes les mains. On rêverait toutefois d’une version convertie aux valeurs ISO courantes (ce qui ne devrait pas être compliqué à réaliser) !

Dès son avènement au 19e siècle, la photographie s’est développée comme une activité commerciale, ses inventeurs ayant tous des ambitions industrielles.
À cette époque très peu de gens possédaient une chambre photographique, la population faisait immortaliser les évènements marquants de sa vie, de la naissance au décès, dans les studios professionnels, mais pas que : de petits artisans œuvraient directement dans la rue.
Ces portraitistes économiques utilisaient des moyens techniques simples mais astucieux pour produire rapidement sur place.
Le client se faisait tirer le portrait et repartait son tirage en main !

Il y a peu d’informations sur cette activité en Europe et Amérique du Nord depuis ses débuts jusqu’à sa raréfaction à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, mais elle perdure encore dans quelques rares régions très pauvres de la planète.
En Afghanistan on les nomme kamra-e-faoree, en Amérique Latine ce sont les minuteros.

À l’époque pionnière où il fallait quasiment tout faire soi-même, les artisans de rue se sont équipés d’un coffre en bois sur trépied combinant la fonction de chambre de prise de vue et de laboratoire de développement. Dans un souci de rapidité et d’économie, ils travaillaient avec du papier photographique négatif.

Depuis quelques années un nombre grandissant d’artistes et d’amateurs découvre et remet au goût du jour cette technique dans une démarche à la fois artistique, culturelle et pédagogique.

Rappelons le principe du négatif :
Le support (papier, verre, métal…) est enduit d’une émulsion sensible à la lumière qui, une fois exposée et développée, noircit selon la quantité de lumière reçue : plus un détail de la scène photographiée est sombre, moins il reflète de lumière, moins il fera noircir l’émulsion, et inversement plus un détail est clair, plus il reflète de lumière et plus il noircira l’émulsion.
On obtient ainsi un cliché où les valeurs de densité sont inversées par rapport à la réalité.

En découle le procédé du portraitiste de rue suivant :
• prise de vue du sujet sur une première feuille de papier sensible,
• développement de cette feuille donnant une image en négatif,
• photographie de ce négatif sur une autre feuille de papier sensible,
• développement de cette seconde feuille donnant un négatif du négatif, c’est-à-dire une image positive.

Pour la prise de vue, la chambre comporte un objectif fixe et un système de mise au point interne.
Ce système de mise au point est constitué de deux rails dans la longueur près du plafond de la chambre auxquels est suspendue une planche coulissante qui supporte le papier et le verre dépoli servant à cadrer et mettre au point. Cette planche est actionnée de l’extérieur par une tirette à l’arrière de la chambre et une trappe à l’arrière permet d’observer la focalisation sur le dépoli.

Les objectifs anciens étant généralement dépourvus d’obturateur, on enlevait puis replaçait le bouchon de l’objectif ou un chapeau noir pour exposer le négatif. La faible sensibilité des émulsions exigeait des temps d’exposition de plusieurs secondes, l’imprécision de l’obturation à la main avait alors peu d’importance.
Par contre cela contraignait le sujet à une immobilité parfaite durant toute la durée de la pose, ce qui explique les airs pincés et la raideur des gens sur les photos d’époque !

La partie labo se compose d’une boite réserve de papier, de deux cuvettes avec le bain révélateur et le bain fixateur. Un œilleton fermable dans le couvercle de la chambre au-dessus de la cuvette de révélateur permet d’observer et contrôler le développement du cliché éclairé latéralement par une fenêtre avec un filtre rouge inactinique, c’est-à-dire laissant passer une lumière qui ne voile pas le papier (l’émulsion n’est sensible qu’au bleu et éventuellement au vert).

La reproduction du négatif se fait à l’aide d’un bras-support escamotable à l’avant de la chambre, permettant de placer le négatif devant l’objectif. La reproduction se fait donc à l’échelle 1:1, les distances négatif-objectif à l’extérieur et objectif-positif à l’intérieur étant chacune égale au double de la longueur focale de l’objectif.

Une fois un cliché révélé et fixé, il suffit de le sortir de la boite et de le rincer par trempage dans un seau d’eau ou n’importe quelle source d’eau courante.

Voici pour l’introduction, elle sera suivie d’un article présentant la chambre-labo que je me suis construite et les solutions que j’ai choisies…